Dans mon dernier post, je publiais mon article « Résolution du paradoxe EPR grâce au déterminisme« , dans lequel, en particulier, je réfutais le théorème de Bell ainsi que la démonstration de Wigner associée. Voici maintenant un nouvel article, en version française, où je montre qu’au contraire on peut restaurer la validité de ces démonstrations si on y ajoute une hypothèse explicite de libre arbitre de l’expérimentateur.
Le libre arbitre dans le théorème de Bell
Dans l’article « Résolution du paradoxe EPR grâce au déterminisme« , après avoir réfuté le théorème de Bell et la démonstration de Wigner, pour aller plus loin, je fais l’hypothèse que nous sommes dans un monde totalement déterministe, où la réalité est régie par une équation de champ classique non linéaire. Je montre alors que dans ce cadre, il devient possible de trouver des théories à variables cachées locales qui reproduisent les résultats de la mécanique quantique. Autrement dit, dans un monde déterministe, la mécanique quantique peut être issue d’une théorie classique. Dans ce cas, les bizarreries de la mécanique quantique ne sont que les bizarreries du chaos déterministe.
Or la première chose qui disparaît lorsqu’on fait une hypothèse de déterminisme, c’est le libre arbitre : le libre arbitre de l’expérimentateur… c’est à dire de tout être humain … ou non-humain.
Aussi, il devenait très tentant de refaire la démonstration de Bell, en ajoutant, explicitement une hypothèse de libre arbitre de l’expérimentateur. Et à, Ô miracle, le théorème redevient vrai. Et il devient même inattaquable !! Et la démonstration de Wigner ? Pareil !! Elle redevient juste.
En définitive, tout ce passe comme s’il y avait dans la démonstration de Bell et celle de Wigner une hypothèse implicite de libre arbitre. Cependant avec cette hypothèse de libre arbitre, les conclusions de ces théorèmes sont différentes de celles qui étaient annoncées jusqu’ici.
En effet, on sait que les inégalités de Bell sont violées par l’expérience. C’est à dire qu’au moins une hypothèse utilisée dans la démonstration est fausse.
Sans l’hypothèse de libre arbitre, le théorème de Bell concluait que, du fait de la violation des inégalités de Bell par l’expérience, la réalité était non-locale.
Avec l’hypothèse de libre arbitre, il conclut que, du fait de la violation des inégalités de Bell :
- soit la réalité est non-locale
- soit le libre arbitre n’existe pas
Il est donc possible de trouver des théories à variables cachées locales reproduisant les résultats de la mécanique quantique, mais dans ce cas, on perd notre libre arbitre !!!
Au contraire, si nous avions le choix, et que nous choisissions d’avoir un libre arbitre, alors nécessairement la réalité serait non-locale.
Certains aurait l’impression de devoir choisir entre la peste et le choléra !!
Et vous, si vous aviez le choix, que choisiriez-vous ?
Un monde sans libre arbitre
En physique, comme en toute discipline, il est dit qu’il faut privilégier la théorie la plus simple. En ce qui me concerne, la théorie la plus simple, c’est que nous soyons dans un monde déterministe régi par une unique équation de champ classique non-linéaire.
Cette « théorie simple » implique nécessairement que nous n’avons pas le choix et que par conséquent nous n’avons pas de libre arbitre.
Beaucoup de personnes sont horrifiées par cette perspective. En ce qui me concerne, c’est la non-localité qui m’horrifie, le déterminisme aurait plutôt tendance à me rassurer.
La notion de libre arbitre est très subtile. En ce qui me concerne, je prends le déterminisme comme un garant de liberté. En effet, supposons que j’aie envie l’aller à la mer. Je regarde une carte routière et je choisis une route pour y aller. Le déterminisme m’assure que la route ne va pas se dérober devant moi, et qu’elle me mènera bien là où je veux aller. Le déterminisme me permet de construire des projets et de les réaliser sans crainte qu’un fait surnaturel, irrationnel, inexplicable, et pour tout dire arbitraire, m’en empêche. Je peux éventuellement en être empêché, mais il y aura une raison que je pourrai comprendre.
Alors bien sûr, en contrepartie, tous mes faits et gestes, et même mes paroles et mes pensées seront aussi déterminées. Et là se pose la question de mon libre arbitre. Il est clair que « physiquement », dans un monde déterministe je n’ai plus de libre arbitre. Mais ma sensation de libre arbitre, elle, reste intacte, et c’est ce qui m’importe.
En effet, la sensation de libre arbitre est garantie d’une part par l’imprévisibilité des choses, et d’autre part par la causalité. Car le monde peut être à la fois déterminé et imprévisible, c’est d’ailleurs la caractéristique essentielle du chaos déterministe. De plus rien n’empêche un monde déterministe d’être causal, c’est-à-dire qu’en tout lieu à tout instant les causes précèdent les effets.
A cause de la causalité, nous sommes obligés de vivre notre vie comme si nous avions un libre arbitre, même si nous n’en avons pas. Par exemple, le déterminisme n’empêche pas les êtres vivants d’avoir des projets. Si je fais le projet de devenir pianiste, je ne peux pas m’asseoir tranquillement sur une pierre et attendre en me disant que de toute façon mon destin étant de devenir pianiste, mes doigts apprendront tous seuls à jouer du piano. Non, la causalité m’oblige à faire le choix, c’est-à-dire à vivre pleinement la sensation de faire le choix, d’apprendre le solfège, de me mettre à faire mes exercices, de passer du temps à faire mes gammes, et in fine de suer sur mon piano, comme si j’avais fait ce choix en toute liberté.
L’imprévisibilité du monde et la causalité m’assurent que je ne pourrai jamais faire de différence entre un vrai libre arbitre et un libre arbitre… déterminé.
L’expérience d’Alain Aspect et libre arbitre
L’expérience réalisée en particulier par Alain Aspect, rapidement décrite dans mon article « résolution du paradoxe EPR grâce au déterminisme » était conçue pour démontrer que les prédictions de la mécanique quantique violaient les inégalités de Bell, et que par conséquent la réalité ne pouvait être que non-locale. Au contraire, elle pourrait bien contribuer à démontrer que nous n’avons pas de libre arbitre.
Pour cela, il ne reste que juste un petit pas à faire…